3. L’essor et les défis de la chanson franco-canadienne

La chanson franco-canadienne, que ce soit en Acadie, en Ontario ou dans l'Ouest, n'a pas été épargnée par la crise de l'industrie du disque.

 

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Anique Granger,
auteure-compositrice-interprète de
l’année au Gala fransaskois de la
chanson 1993-1994

La chanson franco-canadienne, que ce soit en Acadie, en Ontario ou dans l'Ouest, n'a pas été épargnée par la crise de l'industrie du disque. Au milieu des années 1980, comme sa « cousine » québécoise, elle se donne elle aussi les moyens de reprendre son développement, notamment grâce au dynamisme de la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF). On assiste donc à la mise sur pied de structures qui permettent aux jeunes artistes d'entreprendre et de poursuivre une carrière sans avoir à « s'exiler » à Montréal, ce que Édith Butler, Angèle Arseneault, Robert Paquette et Daniel Lavoie avaient dû faire dans les années 1960 et 1970.

Au début des années 1990, les artistes commencent à se regrouper. En 1990, l’Association des professionnels de la chanson et de la musique (APCM) est fondée en Ontario, ainsi que l'Association acadienne des artistes professionnel.le.s du Nouveau-Brunswick (AAAPNB) en Acadie. L'Ouest se dote du Regroupement des artistes de l'Ouest (RADO-musique) connu ensuite sous le nom de Regroupement de l'industrie musicale de l'Ouest (RIM Ouest). Ces organismes mettent sur pied, en 1991, le Regroupement national des professionnel.le.s de la chanson et de la musique (RNPCM), qui leur donne une voix pour revendiquer et développer des stratégies communes au niveau national. Sur le plan de la diffusion, soulignons l'importance de la radio de Radio-Canada (et dans une moindre mesure de la télévision) dans ces régions, de même que des radios communautaires qui s'implantent peu à peu.

L'Acadie

Roch Voisine, Hélène (1989)

Dans la région de l'Atlantique, c'est au Nouveau-Brunswick que l'industrie est la mieux organisée et la plus dynamique. Le Gala de la chanson de Caraquet reste un incontournable pour les jeunes artistes. En 1989, pour marquer ses 20 ans (bien qu'il s'agisse de la 21e édition), il est diffusé sur les ondes de Radio-Canada, ce qui lui donne une visibilité à l’échelle nationale. Dans la foulée du premier Congrès mondial acadien de 1994, un premier gala FM de la musique donne aux disques et aux artistes de l'Acadie en 1997 une exposition médiatique importante. Aussi, en plus de défendre les droits des artistes, l'AAAPNB organise entre autres, depuis 1998, une soirée annuelle où sont remis les prix Éloizes dans six disciplines artistiques, dont la musique. La diffusion et la promotion restent des maillons faibles de l'industrie. Certains organismes y travaillent actuellement : Contact-Acadie, le Réseau atlantique de diffusion des arts de la scène (RADARTS) et, surtout, la Stratégie de promotion des artistes acadiens sur la scène internationale (SPAASI). Ce projet mis en œuvre en 1999 a pour objectif de faire connaître les créateurs acadiens à l'extérieur de l'Acadie, au Québec et dans la francophonie.

Marie-Jo Thério vers 1995

Toutes ces initiatives, jointes au développement des radios communautaires, à la modernisation des studios d'enregistrements et à une entente de distribution avec la compagnie Atlantica, permettent à plusieurs artistes de produire leur premier album. Certains groupes, surtout au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, s'inspirent de la musique traditionnelle, comme Barachois, Bois-Joli, Grand Dérangement, les Méchants maquereaux, Suroît, Vishten ou Blou, qui offre un son métissé de rock. Cependant, le « son » acadien se diversifie. Zéro° Celcius, un groupe de musique alternative, a créé la chanson Petitcodiac popularisée par Zachary Richard. Jacobus et Maleco, un groupe hip-hop de la baie Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse, devient le populaire Radio Radio. Chez les interprètes et auteurs-compositeurs-interprètes, Ronald Bourgeois, Jac Gautreau, Isabelle Roy (ex-membre de Beausoleil Broussard), Lina Boudreau, que l'on découvre dans la 3e édition de Starmania, Pierre Robichaud (ex-membre de 1755), Roch Voisine et Marie-Jo Thério se démarquent. Sans compter Cayouche, véritable phénomène qui entreprend une carrière à l'âge de 46 ans, en 1994, avec son premier album Un vieux hippy. Les accents country-western de ses chansons lui valent un succès populaire qui ne s’est pas démenti depuis.

L'Ontario français

Robert Paquette

En Ontario, le concours Ontario pop lancé en 1986 donne un nouveau souffle à la chanson francophone. Comme en Acadie, les artistes reçoivent un bon soutien à la création. Côté diffusion, quatre radios communautaires entrent en ondes entre 1987 et 1994 et font la promotion de la chanson franco-ontarienne. De plus, dès 1992, l'association ontarienne APCM met sur pied APCM Distribution afin de promouvoir la chanson franco-ontarienne. Sa stratégie va de la production de disques de compilations à l'instauration de points de vente dans le réseau des écoles secondaires. En 1997, en collaboration avec Théâtraction et l'Assemblée des centres culturels de l'Ontario (ACCO), l’APCM met sur pied Réseau Ontario pour faciliter les tournées en Ontario français. Puis en 2001 naît le Gala de la chanson et de la musique, une cérémonie bisannuelle sur le modèle du Gala de l'ADISQ au cours de laquelle on remet des Trille Or et un prix Hommage pour souligner les meilleures réalisations.

Au début des années 1990, le groupe phare de cette période, Brasse-Camarade, formé des frères Pierre et François Lamoureux et d'un bassiste, ont misé sur le réseau scolaire pour entreprendre leur carrière et multiplier les tournées. Avec l'adoption du projet de loi 8 sur les services en français et le gala qui célèbre son entrée en vigueur, en 1986 et 1989 Paul Demers devient un artiste incontournable et sa chanson Notre place, un véritable hymne à l'Ontario français. On peut en dire presque autant de la chanson Ici dans le Nord du groupe En Bref (1992-1998). En 1997, la langue française mobilise les artistes qui produisent l’album S.O.S. Montfort pour appuyer les efforts de sauvegarde de l'Hôpital Montfort, seul hôpital universitaire francophone en Ontario qui est alors menacé de fermeture. La chanson franco-ontarienne n'est cependant pas qu'identitaire : des artistes comme Jean-Guy « Chuck » Labelle (pop-rock et country-western), Véronic Dicaire, Kif-Kif (« combinaison de world beat, de reggae et de rap assaisonné d’influences électroniques») et Konflit Dramatik (rap/rock) en témoignent. La tendance est aussi au métissage des sonorités traditionnelles. Deux groupes formés au milieu des années 1990 connaîtront un immense succès : Deux Saisons, avec son folklore revisité, et Swing, qui inaugure le « techno-trad ».

L'Ouest francophone

Michel Marchildon

Dans l'Ouest, la première édition du Gala albertain de la chanson a lieu en 1989. Cette initiative, qui sera suivie par les autres provinces de l’Ouest pour créer un gala interprovincial en 1990, stimule les artistes. Au cours de la décennie, des réseaux de diffusion se forment en Colombie-Britannique, en Alberta et en Saskatchewan ; des diffuseurs indépendants émergent également au Manitoba. Les artistes peuvent compter sur APCM Distribution, qui a vu le jour en Ontario. Malgré les difficultés, plusieurs interprètes, auteurs-compositeurs-interprètes et groupes de chaque province arrivent à produire un album. Parmi eux, mentionnons Gérald Laroche, Marcel Soulodre, Y a ketchose et Kraink, du Manitoba ; Michel Marchildon, le duo Polly-Esther, et la Raquette à claquette, de la Saskatchewan ; Crystal Plamondon, Josée Lajoie, et Les Twés, de l'Alberta ; Rhéal Poirier, Isabelle Longnus, et Danielle Hébert, de la Colombie-Britannique. Pour faire connaître les artistes francophones de l’Ouest, le regroupement d’artistes RADO produit deux albums de compilations au cours des années 1990, sur le modèle franco-ontarien. Quant à Michelle, Annette, Suzanne et Paul Campagne – membres du groupe Hart rouge (anciennement Folle Avoine) de la Saskatchewan, qui a connu du succès sur la scène nationale –, ils déménagent à Montréal pour y poursuivre leur carrière.

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