Au nom de la jeunesse, de l’amour et de la paix, la musique devient le principal moyen d’expression du courant contestataire qu’on a appelé la contre-culture.
A SOIR ON FAIT PEUR
AU MONDE. Montréal, 1969
À la fin des années 1960, les moyens technologiques rendent possible l’amplification de tous les instruments de musique. Par conséquent, les spectacles présentés dans des lieux immenses comme des stades et des arénas, ou en plein air, se multiplient. C’est le début des grands festivals de musique comme celui de Woodstock, qui rassemble plus de 400 000 personnes dans l’État de New York en 1969. Au nom de la jeunesse, de l’amour et de la paix, la musique devient le principal moyen d’expression du courant contestataire qu’on a appelé la contre-culture. En parallèle au mouvement des droits civiques pour l’émancipation des Noirs américains, et au mouvement d’opposition à la guerre du Vietnam, les hippies et leurs semblables militent pour de grands changements culturels et sociaux, en plus de banaliser la consommation de drogues psychédéliques et l’amour libre. Ce courant influencera directement ou indirectement plusieurs artistes du Québec et du Canada. Mentionnons l’album-concept Jaune de Jean-Pierre Ferland, les ambiances complexes d’Harmonium, le dynamisme insolent de Robert Charlebois, ou le mélange de musique rock et traditionnelle des groupes 1755 au Nouveau-Brunswick et CANO-musique en Ontario.
Yvon Deschamps, Louise Forestier, Mouffe
et Robert Charlebois, spectacle l’Osstidcho, 1968
Robert Charlebois est sans doute l’artiste de la chanson francophone le plus marquant de cette période. Il a fait ses débuts dans les boîtes à chansons en s’accompagnant d’une guitare acoustique, comme bien d’autres chansonniers. Mais, en 1967, après avoir voyagé en Martinique et en Californie, il change complètement de style musical. De retour à Montréal, il réunit une petite équipe de jeunes artistes audacieux et se lance dans l’aventure de L’osstidcho. Ce spectacle éclaté, présenté en 1968, surprend le public, les critiques et la communauté artistique. L’orchestration électrique fortement amplifiée, l’originalité des arrangements et l’accent surréaliste des textes, le comportement excentrique de Robert Charlebois sur scène, l’humour satirique d’Yvon Deschamps, toutes ces nouveautés attirent fortement l’attention. Le spectacle et les chansons endisquées par le duo Robert Charlebois et Louise Forestier obtiennent rapidement un grand succès. L’osstidcho annonce une nouvelle période dans la chanson francophone au Québec, au Canada et même en France.
Richard et Marie-Claire Séguin lors du
spectacle de la Saint-Jean, 1975
Plusieurs événements à grande portée historique se produisent également pendant cette période mouvementée. En 1968, les Acadiens du Nouveau-Brunswick revendiquent avec force leur place dans la société et davantage de services en français. La même année, René Lévesque fonde le Parti québécois, dont l’un des buts premiers est l’indépendance du Québec. Deux ans plus tard survient la crise d’Octobre 1970, qui culmine avec l’enlèvement et la mort du ministre québécois Pierre Laporte et l’instauration de la Loi des mesures de guerre par le gouvernement fédéral. Plusieurs artistes de la chanson québécoise appuient de façon enthousiaste, mais pacifique, la montée du courant nationaliste au Québec. Plus largement, de jeunes artistes osent désormais utiliser le joual (au Québec), le chiac (en Acadie) et employer des blasphèmes et des expressions vulgaires dans leurs chansons. Les variations sonores rendues possibles par les instruments électriques et la technologie électronique, ainsi que les prestations scéniques colorées et percutantes gagnent en popularité.
Affiche de Beausoleil Broussard, 1977
Avec le déclin du style yé-yé, les groupes des années 1970 renouvellent la chanson francophone en y ajoutant l’énergie du rock. C’est à cette époque que naissent les formations telles Abbittibbi (avec Richard Desjardins), Aut’chose (avec Lucien Francœur) et Offenbach (avec Gerry Boulet). Certains groupes poussent très loin l’expérimentation, notamment L’infonie (avec Raoul Duguay et Walter Boudreau), alors que d’autres incarnent les aspects plus pacifistes et folk de la contre-culture, tels que Beau Dommage (avec Michel Rivard), Harmonium (avec Serge Fiori) et Les Séguin (Marie-Claire et Richard Séguin). Ces groupes rock et rock progressif, des chansonniers comme Gilles Vigneault, des groupes de musique traditionnelle tel Beausoleil Broussard, et des artistes de variétés comme Ginette Reno tournent tous à la radio pendant cette période éclectique où le vers du poète français Paul Verlaine « De la musique avant toute chose » devient presque le slogan d’une génération.
Plume Latraverse, Livraison par en-arrière, 1981
Ces artistes performent sur les scènes extérieures et lors d’événements spéciaux qui se multiplient. Mentionnons la Superfrancofête de 1974, organisée à Québec lors du premier Festival international de la jeunesse francophone. Pendant 10 jours, on valorise la culture de la communauté francophone internationale et québécoise en présentant des spectacles variés. Le moment fort de cette fête est la prestation de Félix Leclerc, Gilles Vigneault et Robert Charlebois en soirée d’ouverture, devant une foule record de 200 000 personnes. La captation du spectacle sur le disque Le loup, le renard, le lion remportera un vif succès. L’année suivante, Québec accueille la Chant'août. Il faut aussi souligner la vogue des grands spectacles annuels en plein air à la Saint-Jean-Baptiste, à Québec et à Montréal, qui rassemblent des centaines de milliers de spectateurs et des artistes de tous les milieux.
J’ai vu le loup, le renard, le lion, 1974
L’essoufflement de la contre-culture, la défaite de l’option souverainiste au référendum sur la souveraineté du Québec en 1980 et la grave récession économique de 1980-1982 portent un dur coup à l’industrie de la chanson au Québec et au Canada. Plusieurs artistes « engagés » prennent du recul et cherchent une nouvelle inspiration. Les ventes de disques chutent et mettent en péril plusieurs petites compagnies de production. Pendant ce temps, le nouveau courant de musique de danse anglo-saxonne, le disco, emporte la faveur populaire auprès des jeunes qui se détournent des grands projets collectifs et cherchent à se distraire. L’industrie du disque francophone concentrée au Québec se tourne vers un son et des thèmes plus accessibles et légers pour relancer la production et la vente de disques.