3. Chansonniers et boîtes à chansons

Le chansonnier peut apporter son instrument partout où il va et donner des spectacles dans presque n’importe quelles conditions.

 

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Jean-Pierre Ferland,
auteur-compositeur-interprète,1958

À partir des années 1940, l’habitude d’écrire ses propres chansons se répand parmi les interprètes. À la suite de Mary Bolduc, de Lionel Parent, du soldat Lebrun et d’autres chanteurs country-western, l’auteur-compositeur-interprète prend réellement son essor durant les années 1950. La guitare gagne en popularité comme instrument d’accompagnement, au détriment de l’orchestre : les auteurs-compositeurs-interprètes de l’époque, mieux connus sous le nom de chansonniers, vont s’accompagner principalement avec cet instrument. Le chansonnier donne ainsi la primauté à la voix et au texte en offrant le soutien harmonique nécessaire avec sa guitare. Le chansonnier peut apporter son instrument partout où il va et donner des spectacles dans presque n’importe quelles conditions. De plus, les années 1950 sont une période d'importante production poétique – Gaston Miron fonde notamment la maison d'édition de l’Hexagone en 1953. On publie alors plus de poésie que de romans (cette tendance s'inversera au début des années 1960) et les chansonniers s’inscrivent très bien dans le courant de poésie « du pays » qui est dominant à ce moment.

Les Bozos, 1958

Encore une fois, la radio est un canal privilégié de diffusion de cette nouvelle tendance musicale. L’émission Les chansonniers canadiens, en ondes de 1950 à 1956, sera la première à être exclusivement consacrée aux auteurs-compositeurs canadiens-français. En plus du disque et de la radio, les boîtes à chansons deviennent bientôt le lieu de diffusion par excellence des chansonniers. Les boîtes à chansons permettent notamment des échanges marquants entre artistes du Québec et de la France. Ainsi, Jean-Pierre Ferland, Claude Gauthier, Claude Léveillée, Raymond Lévesque et Gilles Vigneault côtoient à un moment ou l’autre Charles Aznavour, Georges Brassens, Charles Trenet et Lucienne Boyer.

Plusieurs chansonniers d’une
nouvelle génération, comme
Claude Gauthier et Gilles
Vigneault, entre autres,
suivent les traces de Félix Leclerc.

Des lieux cultes marquent aussi le tournant des années 1950 et 1960, comme Chez Bozo, La butte à Mathieu, Le Chat noir ou Chez Gérard. Toutefois, certains chansonniers connaissent tellement de succès que, dès la fin des années 1960, ils ne peuvent plus se produire dans les boîtes à chansons, ces petites salles souvent mal équipées au plan technique. Plusieurs se tournent vers les grandes salles de spectacle qui font leur apparition au Québec, par exemple la Place-des-Arts de Montréal.

La Butte à Mathieu (Val-David), 1964

Le chansonnier Félix Leclerc (1914-1988) est considéré comme le père de la chanson québécoise par plusieurs artistes et historiens. On lui reconnaît ce titre pour l’excellence de ses textes et pour la qualité de ses mélodies. Pourtant, il a dû connaître le succès en Europe francophone avant d’être acclamé au Québec et au Canada. Son style très personnel, sa présence charismatique et, surtout, la richesse poétique de ses textes ont influencé de célèbres chanteurs français comme Jacques Brel et Georges Brassens. Par la suite, son engagement au Québec pour la culture et la langue françaises ont inspiré plus d’une génération.

Poète-chansonnier Félix Leclerc, dans une photo
tirée d’Abitibi, série de télévison, juillet 1957

Félix Leclerc fait d’abord carrière à la radio, où il occupe divers emplois à partir de 1934, à Québec et à Trois-Rivières. Puis il travaille comme comédien et scripteur à Radio-Canada pendant la Deuxième Guerre mondiale. C’est à cette époque qu’il publie ses premiers livres : des contes et des poèmes, puis des romans et plusieurs pièces de théâtre. Sa carrière de chansonnier prend son envol lorsqu’il rencontre le producteur français Jacques Canetti, en 1950, qui est de passage au Québec pour rechercher de nouveaux talents. Canetti devient son imprésario et organise une tournée en France où Félix Leclerc, « le Canadien », obtient un franc succès. Après trois ans de carrière à Paris, ailleurs en France et en Belgique, Leclerc remporte le Grand Prix du disque de l’Académie Charles-Cros pour son album Moi mes souliers, enregistré en 1951. Ce grand succès européen lui vaut un triomphe à son retour chez lui et lui permet dorénavant d’être écouté et même acclamé par le public et les critiques du Québec et du Canada français. Depuis son décès en 1988, les 160 chansons originales composées par Félix Leclerc, ses textes indémodables et son patriotisme inspirant le gardent bien vivant dans l’univers musical de la francophonie.

Félix Leclerc connaît le succès en France à partir de 1950
et devient l’un des grands artistes de la chanson francophone.

Le succès des chansonniers est lié à plusieurs facteurs. Leurs mélodies sont faciles à retenir et à fredonner. Les textes de leurs chansons décrivent et mettent en valeur le pays et le caractère propre de la culture canadienne-française, puis québécoise, ainsi qu’acadienne, puisque ce style de chanson est présent dans tout le Canada français. Au Québec, la popularité croissante des chansonniers coïncide avec la montée du courant nationaliste. Pendant la Révolution tranquille, sous les gouvernements provinciaux de Jean Lesage (1960-1966) puis de Daniel Johnson (1966-1968), les slogans politiques « Maîtres chez nous », « Il est temps que ça change » et « Égalité ou indépendance » projettent la population québécoise dans une période de grande transformation. Les chansonniers expriment ce thème général, la fierté d’être francophone et l’attachement au pays. C’est au tournant des années 1960 et 1970 que les Canadiens français du Québec deviennent des « Québécois » et provoquent la rupture de la grande famille canadienne-française. Cette transformation, à laquelle participent les artistes de la chanson, aura de profondes répercussions sur les communautés francophones du Québec et du Canada.

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