À l'arrière, de gauche à droite : Adélard St-Jean,
Alfred Montmarquette. À l'avant, de gauche à
droite : Eugène Daignault, Ovila Légaré,
Arthur Lefebvre
La chanson populaire est une chanson bien connue et répandue dans un large segment de la population. Au départ, il s’agit principalement de chansons traditionnelles et de chansons patriotiques, transmises et popularisées de bouche à oreille. Ces chansons étaient souvent anciennes et variaient d’un village à l’autre, d’une région à l’autre, d’un interprète à l’autre. Contrairement à la musique dite « savante », ou classique, la musique populaire est celle des amateurs, des analphabètes, des autodidactes, des ouvriers, des paysans. Toutefois, ce qu’on entend par musique populaire se transforme de façon importante avec les débuts de l’enregistrement, et plus encore avec la venue de la radio. Pourquoi? D’abord en raison de sa large diffusion. En effet, un répertoire de chansons de plus en plus vaste devient accessible à tous les auditeurs qui possèdent un gramophone, ou un poste de radio. Les chanteurs et musiciens « populaires » peuvent ainsi, pour la première fois, faire une carrière professionnelle et vivre de leur musique. C’est ce qui fait l’originalité de Mary Bolduc, la première auteure-compositrice-interprète autodidacte de la province de Québec à devenir une vedette. Cela se produit au cours des années 1930.
Mary Bolduc et ses collègues jouant
d'instruments de musique du folklore
traditionnel, en 1928
Mary Travers dite La Bolduc (1894-1941) est héritière d’une double culture musicale – écossaise-irlandaise par son père et canadienne-française par sa mère. Elle chante, turlute, joue de l’accordéon, de l’harmonica et du violon. Elle quitte sa Gaspésie natale pour travailler à Montréal à l’âge de 13 ans et s’intègre rapidement au réseau de folkloristes de la métropole. Ceux-ci animent des veillées de cuisine les fins de semaine et certains soirs.
Mary Travers a épousé Édouard Bolduc en 1914. Celle qui sera connue sous le diminutif de « La Bolduc » (une appellation qu’elle n’aime pas, la considérant irrespectueuse) est au départ une ménagère et une mère à temps plein. Quand son mari tombe malade et se trouve incapable de travailler, elle accepte ses premiers contrats professionnels. Au début, Mary Bolduc chante et accompagne Ovila Légaré. Puis, en 1927, elle est invitée aux spectacles les Veillées du bon vieux temps organisés par Conrad Gauthier, d’abord comme violoneuse, puis comme chanteuse. Elle rencontre ensuite Roméo Beaudry qui l’encourage à composer ses propres chansons et la met sous contrat pour l’étiquette Starr. C’est ainsi que Mary Bolduc devient la première auteure-compositrice-interprète du Québec. Elle enregistre sur disque sa première chanson originale en 1929, « La cuisinière », et connaît dès lors un succès retentissant.
Garçons tirant des charrettes à bras, Montréal,
QC, vers 1930
Bien que l’esthétique et les références musicales de Mary Bolduc soient traditionnelles, elle parle surtout dans ses chansons de l’actualité, de la vie quotidienne et des préoccupations des gens ordinaires qui habitent la ville. Elle rejoint ainsi bien des résidants de Montréal qui, comme elle, ont quitté la campagne dans l’espoir de mener une vie meilleure. Elle s’exprime simplement, dans une langue de tous les jours, et demeure donc très proche d'un large public dont elle devient en quelque sorte la porte-parole. Ses disques se vendent en grande quantité. Elle participe également à des tournées de spectacles de variétés à travers le Québec, l’Ontario et en Nouvelle-Angleterre1, qui sont très appréciés. Sa carrière professionnelle lui procure des revenus suffisants pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, même au plus fort de la Grande Dépression des années 1930. Il s’agit d’une situation exceptionnelle pour une artiste qui n’a pas été formée par un maître de musique ou dans une institution « officielle » comme le conservatoire.
Musique en feuille de la chanson « Ça va venir
découragez-vous pas », grand succès de
La Bolduc pendant la Crise économique
La carrière de Mary Bolduc est remarquable à plusieurs points de vue. D’abord, elle est une femme dans un milieu alors essentiellement masculin2. Ensuite, elle est le premier artiste canadien-français à écrire, composer et interpréter ses propres chansons. De plus, bien qu’elle turlute et s’accompagne d’instruments traditionnels, ses chansons sont résolument modernes, car elle parle dans les mots de tous les jours de réalités quotidiennes de la vie urbaine. En outre, Mary Bolduc est une artiste amateur qui atteint un statut de professionnelle en gagnant sa vie grâce à son art. Enfin, ses chansons ont traversé les époques et elles ont été maintes fois réinterprétées. Pour toutes ces raisons, elle est reconnue comme la mère de la chanson québécoise.
Mary Bolduc tenant son violon