1. La réalisation de disques dans la première moitié du XXe siècle

Relire l'introduction

Détail d’une publicité montrant l’usine et le siège social
de la Berliner Gramophone Company à Montréal, en 1918

Dans la première moitié du XXe siècle, les étapes menant de la composition d’une chanson à la vente d’un disque sont peu nombreuses. Les entreprises étant plus petites, quelques personnes-clés remplissent plusieurs rôles à la fois. Plus tard, les différentes tâches seront subdivisées et attribuées à plusieurs spécialistes, départements ou compagnies.

Prenons l’exemple de la compagnie Compo, fondée à Lachine (près de Montréal) en 1918 par Herbert Berliner (1882-1966). Amoureux des technologies de l’enregistrement, Herbert Berliner est ce qu’on appellerait aujourd’hui un ingénieur du son. Il se tient à la fine pointe des technologies liées à l’acoustique, au développement du microphone et il sait comment capter le meilleur son possible avec les moyens de l’époque.

Herbert Berliner, vers 1915 [détail]

Herbert Berliner est aussi un producteur, car il investit l’argent nécessaire pour payer la production d’un disque. En plus, il fait preuve d’audace. Il ose enregistrer de la musique boudée par les autres compagnies canadiennes. Entre autres, il réserve une place de choix à la chanson populaire canadienne-française, au blues et au jazz. Chez Compo, Herbert Berliner finance, enregistre et met en marché les disques de musique canadienne-française; son associé Roméo Beaudry s’occupe du reste.

Homme à tout faire, Louis Roméo Beaudry est réalisateur chez Compo Company. Il est aussi auteur et compositeur (plus de 150 chansons), éditeur, arrangeur et traducteur (plus de 150 chansons), accompagnateur et gérant d’artiste pour l’étiquette Starr.

Détail d’une publicité annonçant les nouveautés du
catalogue Starr, dont les versions françaises de
chansons populaires américaines

Né en 1882, Beaudry baigne dans l’univers de la musique dès sa tendre enfance. Sa famille possède une entreprise, « Jos. Beaudry Photographe », qui vend aux gens de Québec aussi bien des appareils photographiques que de la musique en feuilles, des instruments de musique, des phonographes et des gramophones. Le jeune Beaudry s’intéresse très tôt à la musique populaire, ainsi qu’à l’édition de musique en feuilles. Vers 1915, il est engagé par le département francophone de Columbia Graphophone à New York comme responsable du catalogue canadien-français. C’est toutefois à Montréal que Beaudry mettra à profit tous ses talents en devenant le gérant de Starr Phonograph Company of Quebec (qui collaborera avec la compagnie Compo) dès 1921.

Interprète: Albert Marier, baryton
avec orchestre

Depuis son passage chez Columbia, Roméo Beaudry s’est constitué un vaste réseau de contacts dans le monde artistique. En tant que gérant et réalisateur, il élabore un catalogue impressionnant de chansons canadiennes-françaises pour l’étiquette Starr. La grande polyvalence de Beaudry peut alors s’exprimer : non seulement sélectionne-t-il les artistes à la manière d’un gérant, mais il écrit des paroles, compose des mélodies, traduit et transpose des succès américains. Il accompagne même des chanteurs au piano et fonde plusieurs compagnies d’édition de musique en feuilles (Silhouette, Mélodia, Éditions Radio/Radio Music). Il va jusqu’à diriger les séances d’enregistrement en suggérant des interprétations au chanteur et aux musiciens, et en discutant avec les techniciens pour trouver la meilleure prise de son. C’est un homme-orchestre.

Roméo Beaudry, de la Starr Phonograph Company

À cette époque, Roméo Beaudry et Herbert Berliner sont les piliers de la musique populaire canadienne-française Ils encouragent la création et l’enregistrement de chansons au Québec afin de rivaliser avec les succès américains. Toutefois, plusieurs de leurs réalisations sont des traductions françaises de chansons américaines, adaptées au contexte et à l’esthétique canadienne-française. Le succès qu’ils obtiennent dans les années 1920 et 1930 avec leur nouvelle approche est immédiat et considérable. Les auditeurs sont ravis d’avoir accès à une musique canadienne-française différente de l’opérette, de la chansonnette française, de la chanson patriotique et de la chanson traditionnelle. Si l’émergence d’une production de disques canadiens-français est rendue possible grâce aux innovations techniques et aux moyens financiers d’Herbert Berliner, la croissance et la qualité de cette production sont en grande partie dues à Roméo Beaudry. Il ouvre la voie à une nouvelle chanson populaire dont l’influence se fait encore sentir aujourd’hui.

Maintenant,
teste tes connaissances !